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Au sujet de la clairvoyance de Marthe Robin

2 septembre 2020

La joie et la croix

Marthe Robin était-elle au courant de ce qui a été révélé du comportement du Père Finet il y a quelques mois ?

Sophie Guex, postulatrice de la cause de Marthe Robin apporte des éclairages.

C’est une question légitime que nous nous posons tous. On met au crédit de Marthe tant de paroles de connaissance et de témoignages attestant sa « clairvoyance »… Aurait-elle ignoré les agissements de son père spirituel sur une si longue période ?

L’enquête en canonisation a démontré combien Marthe savait dire une parole à la fois juste et délicate pour permettre aux personnes de prendre conscience ou de réajuster un comportement (c’est la vertu de « justice »). Elle savait dire cette parole tout en s’effaçant, pour demeurer à sa vraie et juste place – on avait tellement tendance à la considérer comme une voix qui avait autorité ! – Chacun était renvoyé à sa propre responsabilité pour faire – ou non – le pas qu’elle suggérait.

Un auteur venu lui demander s’il devait écrire un article sur un sujet précis s’entend répondre, avec un brin d’humour : « Savez-vous que vous commettez un gros péché ? » Silence interloqué. Marthe continue, plus sérieusement : « Votre péché est grave, parce qu’il constitue un manque de respect et un affront au Saint-Esprit ! […] Je n’ai pas pour mission de me substituer au Saint-Esprit. Par contre, vous devez vous habituer à rechercher avec lui les solutions conformes aux volontés de Dieu. Si vous ne l’entendez pas, c’est tout simplement parce que vous cherchez ailleurs les conseils qui dépendent de lui ou que vous manquez de sensibilité à ses inspirations ! »

Cette vertu de « justice », Marthe l’a aussi exercée à l’égard du Père Finet, qui était de la « pâte » des chefs et pouvait ne pas toujours tenir compte de ses paroles. Dans les années 1970, par exemple, au moment où le Foyer de Châteauneuf accueillait plus de 300 personnes pour une retraite, Marthe souhaitait que le nombre des « retraitants » n’excède pas 120, disant avec bon sens que le trop grand nombre ne permettait pas un accompagnement personnel fructueux. Le Père Finet, lui, emporté par son dynamisme et peut-être aussi par le succès de ses prédications (car c’était un prédicateur de talent), passait outre la sagesse et les priorités de Marthe. On peut dire que les Foyers de Charité ont eu grâce à cela un rayonnement extraordinaire. C’est vrai. Mais est-il ajusté de dire que le Père Finet agissait toujours en parfaite unité avec Marthe ?

Marthe savait-elle tout ? Elle-même s’en défendait : « Je n’appartiens pas au syndicat des cartomanciennes ». De nombreux témoignages attestent pourtant sa « clairvoyance ». Jusqu’à une connaissance très concrète des lieux : l’espacement qu’il restait pour faire entrer une armoire dans la pièce d’une maison où elle n’avait jamais été ; l’existence d’un presse-purée sur la dernière étagère d’une cuisine inconnue. Ces détails pouvaient rester de simples banalités si on ne réalisait pas qu’elle était bloquée dans sa maison, sans autre source d’information que les personnes qui venaient à elle.

Pourtant, Marthe n’avait pas réponse à tout. Quand elle ne savait pas, elle le disait, simplement. Des personnes étaient parfois étonnées qu’elle ne se souvienne plus d’un prénom… Quelle représentation avons-nous du « mystique » ? Serait-il comme un scanner branché en permanence ? La « clairvoyance » est un don de Dieu, un charisme, donné à un moment précis pour aider une personne dans une situation particulière. Les mystiques ne sont pas omniscients. Ne les prenons pas non plus pour des devins ! Ils ressemblent plutôt aux prophètes, qui recentrent sur l’essentiel : la relation au Seigneur dont découle un comportement juste. Ils voient très clair, mais pas forcément plus loin que les autres. Leur profonde union au Seigneur leur donne une lucidité qui échappe au « zapping » de surface. Marthe était branchée sur l’Essentiel, elle savait poser les bonnes questions qui permettaient aux personnes d’éclairer leur réflexion, leurs choix ou leurs priorités.

Parfois ce charisme allait plus loin, toujours pour aider des personnes, comme ce prêtre qui avait passé quatorze mois dans les prisons de Shanghai dans les années 50. Marthe l’a accueilli et lui a doucement posé des questions sur ce qu’il avait vécu ; au fur et à mesure de son récit, elle complétait elle-même les détails qu’il n’avait encore osé dire à personne.

Marthe connaissait aussi la peur de se tromper. Parlant un jour d’un prédicateur venu pendant de longues années au Foyer de Châteauneuf, elle confia qu’en fait elle ne l’appréciait pas trop, mais que devant tout le bien que les gens lui en disaient, elle pensait qu’elle se trompait et qu’elle manquait de charité. Cela en dit long sur sa prudence quant à elle-même et sur la manière dont un mystique peut connaître les mêmes hésitations que nous.

Evoquons un dernier aspect, bien actuel, qui est celui du respect de la privacy. Marthe, parfois, s’interdisait de pénétrer dans le jardin secret d’une personne. Combien il est bouleversant de le réaliser, à l’heure où l’on parle de viols de consciences. Avant d’être un rayon laser, un mystique est un être pétri de l’infinie délicatesse de Dieu.

Si l’Eglise a déclaré Marthe Robin vénérable, en novembre 2014, elle ne l’a pas fait sur la base des phénomènes extraordinaires qui ont jalonné sa vie (inédie, stigmates, visions, vexations du démon, clairvoyance), mais en examinant la manière dont elle a exercé les « vertus chrétiennes » dans les circonstances particulières de sa vie. Le pape François nous a rappelé récemment que « pour être saint, il n’est pas nécessaire d’être évêque, prêtre, religieuse ou religieux. […] Nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où chacun se trouve. » Marthe accueillait dans sa maison, simplement. Mais quand on pense à ce qu’elle souffrait et à la manière dont elle accueillait, toute présente à son interlocuteur, avec une attention renouvelée à chacun, sans jamais parler d’elle-même ni de ses propres difficultés, on réalise que cette charité héroïque venait de plus loin qu’elle, de cette Source à laquelle elle était branchée et vers laquelle elle conduisait.

Sophie Guex
Postulatrice de la Cause de Marthe Robin

Retrouver l’article sur le site Marthe.Robin.com